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LA MAISON DES BORIES

veut, éplucher mes haricots, goûter mes sauces et tout,

— Oui, toi, bien sûr, toi, parce que c’est toi. Mais justement… Tiens, veux-tu que je te dise, y a trop de femmes autour de ce gosse-là. Elle l’enfumelle, voilà. Et elle le rend fier comme elle. Elle le… elle le… ah ! tiens, j’aime mieux pas en parler, ça me fiche en rogne !

— Baroque, dit Marie-Louise avec tranquillité. Tu n’es qu’un baroque. Va donc faire ta chambre, tu m’appelleras pour le lit.

Ludovic prit son balai, son plumeau, ses chiffons et s’engouffra dans l’escalier. Arrivé au premier étage il s’approcha de la fenêtre du vestibule, allongea le cou. Il voyait de là les trois enfants assis sur les châssis à concombres, à l’entrée du jardin, et qui parlaient avec animation. C’était toujours là qu’ils tenaient leurs conseils. Les jeux, les farces, les expéditions périlleuses, les rébellions concertées contre Mlle Estienne, l’institutrice qui montait de Saint-Jeoire tous les matins, ( « Je compte : une, deux, trois, à trois on crache sur son livre et on met les pieds sur la table, » ) les réflexions sur les « Gens », c’est-à-dire l’humanité étrangère aux Bories et les entretiens philosophiques sur l’existence en général, tout cela mûrissait sous les châssis à concombres.

Ludovic mit deux doigts en fourche entre ses lèvres et siffla en s’effaçant derrière le panneau ouvert de la fenêtre ; les enfants levèrent la tête, ne virent rien, reprirent leur conversation. Mais cinq minutes après, Laurent rejoignait Ludovic dans la chambre du fond.

— Tu as sifflé ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il, tout émoustillé de curiosité, son nez court et mobile humant d’avance les nouvelles.

— Tu vois, dit Ludovic, je fais la chambre. Le type qui a un nom à coucher dehors va coucher ce soir à la maison.