Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LA MAISON DES BORIES

d’un étrange instrument de musique, sollicité à point nommé, plutôt que d’un gosier d’homme. Cela sonnait à peu près comme : « Gloum, gloum, gloum… » Et à chaque fois qu’il émettait un son, il hochait la tête, comme pour marquer la mesure, cependant que son regard bleu voyageait tout autour de la table, à la poursuite d’harmonies plus subtiles.

Ce regard s’arrêta sur le Corbiau gentil, qui s’efforçait de manger ses cerises à la cuiller, dans un élan éperdu de distinction. Le jeune homme retourna la tête vers Isabelle, qui regardait au même moment le même spectacle et il y eut entre eux un éclair amusé qui les fit sourire en même temps. M. Durras s’interrompit net :

— Qu’y a-t-il, Isabelle ?

— Rien du tout, mon ami,

— Vous venez de sourire, si j’ai bien vu.

« Il y a donc quelque chose qui prête à sourire dans ce que j’ai dit ? C’est possible. Éclairez-moi, je ne demande pas mieux que de rire…

— Mon Dieu ! rien. Je souriais d’une bêtise, d’un rien, qui n’avait rien à voir avec ce que vous dites…

Amédée resta quelques instants le menton levé, le regard suspendu, comme quelqu’un qui attend une explication. L’explication ne venant pas, il haussa les épaules, vida lentement son verre, s’essuya les lèvres avec minutie, reposa sa serviette sur ses genoux, ses mains sur sa serviette et demeura ainsi, immobile et sans dire mot, jusqu’au moment où Ludovic apporta sur la table le service à café turc.

Isabelle avait rougi jusqu’à la racine des cheveux. Carl-Stéphane Kürstedt qui évitait de la regarder, le cou droit et raide dans son faux col, devina pourtant cette rougeur et perçut en même temps, contre son flanc gauche, une sensation de gêne, comme si l’espace, de ce côté, fût devenu soudain tuméfié et sensible. Ses muscles se contractèrent involontaire-