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LA MAISON DES BORIES

colère, on était forcé de rire et de croire au bonheur. Est-ce que ce n’était pas un beau cadeau qu’elle allait faire au monde ?

« Ils seraient des lumières, par le cœur ou par l’esprit. On les admirerait, sans comprendre pourquoi ils étaient si différents des autres.

« Elle seule comprendrait, elle seule qui les aurait amenés là et qui saurait ce qu’ils lui avaient coûté. Et quand elle les aurait amenés là, elle ne demanderait plus rien, elle pourrait se dessécher, comme une vieille racine qui a donné tout son suc. L’ordre du monde le voudrait ainsi et il n’y avait pas à se révolter contre l’ordre du monde, ni à réclamer une récompense extraordinaire pour l’avoir suivi.

« Elle ne demanderait plus rien, elle aurait atteint son but et savouré sa vengeance : la stupéfaction d’Amédée quand il les verrait dans leur gloire, quand il les verrait enfin, pour la première fois de sa vie et qu’elle pourrait lui dire : « Voilà ce que j’ai fait, seule. Seule, sans vous, malgré vous… homme ! »

« Et là-dessus, il pourrait aller au diable, s’il voulait. Elle ne chercherait pas à lui rendre le mal qu’il lui avait fait. Non par esprit chrétien, — elle en avait fini avec la pleurnicherie chrétienne et le mot « pardon » ne signifiait rien pour ceux qui avaient un vrai cœur dans une vraie poitrine. Par contre, le mot « dédain » disait très bien ce qu’il voulait dire.

« Amédée ? Ce n’était pas de sa faute s’il ne comprenait rien à rien. Ce n’était pas de sa faute si l’instinct qui éclairait les femmes aveuglait les hommes. Il ne pouvait rien changer à l’ordre du monde, ni elle. Qu’il cherchât sa vérité tout seul, s’il en était capable ! C’eût été perdre son temps que d’essayer de contenter ce qui, par nature, ne pouvait être contenté, — et elle n’avait pas de temps à perdre. S’il n’avait pas encore compris que le « moi » était sa-