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LA MAISON DES BORIES

les enfants et elle ne pouvait pas les délaisser. Alors ? Alors ?

« Ô l’homme, l’homme, être brouillon, malfaisant, destructeur, ébloui par son intelligence et pour tout le reste plongé dans les ténèbres, inférieur à la bête, incurablement niais, obtus, ridicule matamore campé sur le chemin de la nature et pensant lui barrer la route avec ses : « Et moi ! Et moi ? » Ah ! moi, moi, moi, moi apoplectique. Moi hideux, Moi mâle ! Les balayer de la surface de la terre, jusqu’au dernier, et respirer, enfin, respirer !… »

Elle crispait ses mains moites sur la barre d’appui de la fenêtre et la lune éclairait son visage blême et convulsé de passion et sa chevelure de ménade qui lui battait les flancs.

Le chien, en bas, s’était dressé contre le mur de la maison et gémissait de tendresse vers cette forme blanche.

— Mon bon vieux, dit Isabelle d’une voix soudain apaisée, ma bonne bête… Va, va, j’aime mieux un chien qu’un chrétien…

Elle mit ses cheveux en ordre, tendit l’oreille. Plus rien ne bougeait dans la chambre d’Amédée.

Un instant après, Isabelle était auprès du Corbiau qui ne dormait pas, qui n’avait pas l’air de vouloir dormir du tout et qu’elle emporta dans son lit. Chemin faisant, la petite lui demanda négligemment son avis sur une question sans importance, « histoire de savoir si c’était une bonne idée ou pas » et Isabelle sursauta :

— Oh ! non, non, c’est une très mauvaise idée, mon Corbiau, une idée à ne pas conserver une minute en tête ! N’y pense plus et dors.

— Ah ! bon, dit la petite fille. C’était simplement pour savoir, tu comprends…

Elle s’endormit dans le lit d’Isabelle, veillée par un regard pensif, sous des sourcils en pont chinois.