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LA MAISON DES BORIES

facile, qu’on n’avait qu’à distribuer des claques et des punitions et dire « c’est moi qui commande » ! Il croyait qu’elle ne faisait rien, que jouer avec eux du matin au soir et contenter leurs lubies ! Vraiment ! Il ne soupçonnait pas cette contention de chaque instant qu’elle s’imposait, cet effort dont tout son être craquait, pour rester calme devant ses interventions à lui, ses désastreuses interventions qui ruinaient en un clin d’œil l’ouvrage de sa journée, semaient la méfiance, la terreur et la haine, lâchaient tous les démons à grand’peine enchaînés. Il ne connaissait rien de ses désespoirs, quand elle échappait à un homme changé en bête fauve pour retrouver un enfant pareil à un possédé, ivre, écumant de rage, le blasphème à la bouche, le regard chaviré. Il ne savait pas qu’elle passait des nuits blanches, des nuits d’angoisse, à se demander si elle n’était pas vaincue d’avance, dans ce combat trop inégal, et la tentation qui lui venait, la tentation du grand repos où elle les aurait emmenés avec elle, pour avoir enfin la paix, pour les soustraire aux dangers. Non, non, il ne voyait rien, il ne sentait rien de ce qui se passait en elle, en eux, il ne se doutait pas du danger permanent qu’était la vie, avec cette volonté cachée dans tous les êtres, cette volonté obscure et tenace de retourner à la nuit, au chaos, à la condition farouche des bêtes, cette volonté qui le terrassait, lui, à chaque instant, — et voilà, voilà ce qu’il fallait étouffer quand on tenait de jeunes vies entre ses mains, de jeunes vies dont on voulait faire des lumières, et on ne pouvait y arriver que par les moyens lumineux, amour, confiance, non par les moyens obscurs et chaotiques, la terreur et les coups. Mais il ne voulait rien entendre, rien, la jalousie l’aveuglait, une véritable démence de jalousie, de haine. Pour le calmer, il aurait fallu penser comme lui, et elle ne pouvait pas penser comme lui, il aurait fallu délaisser