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LE RAISIN VERT

ses grands bras fauchant autour de lui des moissons imaginaires, sa longue moustache flottant au souffle de ses paroles :

— Savez-vous ce qu’il nous faudrait obtenir ? Le marché de l’Amérique du Sud, mon ami Durras, parfaitement. Toute l’Amérique du Sud vient chercher ses parfums à Paris, parfaitement, et Dieu sait si les femmes, là-bas, en consomment et si elles sont coquettes.

— Parlons chiffres, voulez-vous ? reprenait Amédée, qui aimait à s’appuyer sur des précisions. Vous dites que le prix de revient du kilo de poudre de riz est de… ?

Ces après-midi chez Pignardol étaient devenus son paradis artificiel. Rentré chez lui, il poursuivait le rêve en compulsant notes et brochures, en alignant des calculs. Au bout d’une colonne de chiffres, il entrevoyait la fortune pour lui et sa famille et le plaisir d’avoir eu raison contre Isabelle — plaisir dont il se promettait généreusement de ne pas abuser, car il se découvrait à la faveur du rêve une seconde nature, candide, prodigue, éblouie, une floraison tardive d’enfance. Comment n’aurait-il pas été reconnaissant à Pignardol ?

Aussi fournissait-il sans compter l’appui financier que nécessitait le lancement de l’affaire, se réservant de tout apprendre à sa femme lorsque l’heure du triomphe aurait sonné.

Les longs crépuscules de juin où Vénus brille seule, si longtemps, dans un champ de ciel sans couleur, régnaient sur Paris tout fumant de goudron, tout brûlé de poussière.

Par ces soirées transparentes, Isabelle aimait à s’accouder à la fenêtre de sa chambre pour respirer les bouffées d’air frais qui venaient du Bois proche,