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LE RAISIN VERT

on lui laisse dire tout ce qui lui passe par la tête sous prétexte d’encourager la confiance. C’est le système de ma femme. Vous en voyez les fruits.

— Aïe, dit Nina, que c’est mauvais ! Mais il faut punir, vous, le papa ! Vous êtes le maître, hé ?

« Elle a vraiment bien besoin de lui donner des conseils », pensa Lise, et elle sentait avec chagrin la merveilleuse vibration de tout à l’heure s’affaiblir d’instant en instant. C’était comme une vague qui se retirait, la laissant échouée, inerte, sur la grève.

— Allons, reprit M. Durras, dis-nous encore ta petite machine et tu t’en iras danser. Il y a assez longtemps qu’on s’occupe de toi.

Nina s’approcha de lui comme par inadvertance et le frôla de son épaule ronde, et il ne put s’empêcher de regarder ce sillon qui se creusait dans la chair jeune, à la naissance du corsage, ce sillon d’où montait une tiède bouffée d’œillet poivré…

Lise leva des yeux pâles et annonça d’une voix tremblante :

le printemps

Au printemps, tout pousse,
Les jeunes enfants comme les jeunes pousses,
Et les fusains et le jet d’eau
Au fond du parc semblent sourire
Au grave buste de marbre.

Sa voix expira sur les derniers mots, car la vague s’était tout à fait retirée et le poème, que Lise avait tant aimé, ne lui paraissait plus maintenant qu’un petit déchet honteux, qu’elle aurait voulu repousser dans l’obscurité.

Comme elle tendait vers Nina un visage souffrant, elle rencontra le regard étincelant d’une jeune furie :

Mannteuse ! Vaniteuse ! Ce n’est pas de toi ! Dites-moi, monsieur, vous, où elle l’a copié ?