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LE RAISIN VERT

— Méchante, cette jeune fille ? Allons donc ! C’est de la jalousie.

Lise avait bel et bien manqué le quadrille. Quand elle revint, M. Jasmyn dirigeait la deuxième figure.

Elle en eut une suffocation de dépit et courut bouder dans un coin, derrière un tas de chaises amoncelées sur une table. Et là, elle eut la surprise de découvrir son père, en conversation animée avec la jeune Espagnole.

— Vous connaissez donc l’Espagne ? disait Nina. Pamplona, vous connaissez ? Là, je suis née.

— Pampelune, traduisit M. Durras avec entrain. Pampelune en Navarre. Un pays sec, brûlé, des arbustes rabougris au flanc des collines. Ici et là, une infiltration, une petite source cachée. On peut suivre son trajet à la trace de végétation d’un vert intense qui tranche sur le ton fauve du sol.

— Mais ou… i, modulait la jeune fille. C’est cela même. Comme vous dites bien !

— On est un peu géographe, mademoiselle, répondit Amédée d’un ton gai. On connaît son Europe sur le bout du doigt. Et on a toujours trouvé l’Espagne un pays très intéressant.

— N’est-ce pas ? dit Nina — et il y avait un tel élan dans sa voix — comme si elle vous eût sauté au cou. Parlez-moi encore. Parlez-moi… géographiquement !

— Tiens ! tu es là ? dit M. Durras en découvrant sa fille, et sa physionomie animée se rembrunit sur-le-champ. Lise levait sur lui des yeux stupéfaits, emplis d’admiration.

Que son père fût capable de parler d’un pays où il n’avait jamais mis les pieds, voilà qui était nouveau, surprenant et tout à fait digne de respect.