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LE RAISIN VERT

peut faire, que je sois habillée en Grecque ou en n’importe quoi, pour te montrer ma composition d’analyse logique ?

— Fais voir, dit Amédée, radouci. Comment, tu as été première ? Mais c’est très bien ! Voilà qui me fait plaisir. Moi aussi, j’étais toujours premier en analyse logique. J’étais premier en tout, d’ailleurs, reprit-il avec amertume. Je travaillais comme un imbécile.

— Je comprends ça, dit Lise. C’est si amusant de travailler !

— Ah ! tu trouves ?

— Tu ne trouves pas ?

Tous les deux se regardaient avec la même expression d’étonnement au fond de leurs prunelles bleues.

— Mais alors, reprit Lise, si cela ne t’amuse pas de travailler, pourquoi travailles-tu ?

— Ma foi ! dit M. Durras avec un geste vague, je n’en sais rien. Pourquoi travaille-t-on ? Pour dépasser les autres, pour gagner de l’argent, pour être admiré. Ou tout simplement pour passer le temps. Pour ne pas crever d’ennui. Pour ne pas crever tout court.

— Mais ce n’est pas gai ! s’écria Lise.

— Pourquoi veux-tu que ce soit gai ? Est-ce que la vie est gaie ?

— Ah ! bien vrai, si la vie n’est pas gaie… Qu’est-ce qu’il te faut !

Elle ouvrait des yeux stupéfaits, indignés, des paumes démonstratives, si naïvement convaincue que son père se prit à sourire.

— À ton âge, oui, peut-être… Eh bien, profites-en, ma petite fille, jouis de ton reste.

— Je ne demanderais pas mieux, répondit Lise, mais tu ne veux pas.

— Moi ? Quand t’ai-je empêchée d’être heureuse ? Quand vous ai-je refusé quoi que ce soit ? Qui pourrait se plaindre de moi, ici ?

Il s’était levé et arpentait fébrilement la pièce.