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LE RAISIN VERT

fait penser à une volière d’oiseaux de paradis, et les oiseaux de paradis amènent, on ne sait pourquoi, le souvenir du visage de Nina Bonafé, de son rire, de sa voix, et le cœur se gonfle et devient léger…

La glace vous renvoie l’image d’une petite Persane aux larges yeux, au menton fin. Jolie ? Peut-être. On ne sait pas. Tout est devenu possible, depuis qu’on a mis ce costume, coiffé ce turban, avec son aigrette couleur de feu. Il y a du miracle dans l’air. On ne serait pas étonné que quelqu’un parlât de vous tout à l’heure, au bal, en disant : « Cette jeune fille, là-bas, costumée en Orientale… »

Cette jeune fille… On étend un peu sa jambe sur le coussin, pour examiner la forme qui transparaît à travers le triple voile de mousseline. La ligne de cette jambe a changé. La cheville paraît plus haute, plus mince, le fuseau du mollet s’étire, toute la jambe s’étire et c’est cela qui vous fait mal, la nuit, au creux des genoux. La jambe est en train de devenir une jambe de jeune fille. Il y a des mois que cela se prépare, mais, sans ce costume on ne s’en serait pas douté, et c’est comme si le changement venait d’avoir lieu en une seconde, par le miracle du costume.

C’est aussi le miracle du costume, ce curieux sentiment de dignité à la cambrure des reins, là où se creusera demain la taille. Sentir que le corps s’infléchit sous les côtes, que le pivot du corps tend à s’amincir, à se dépouiller, cela vous donne une singulière impression de supériorité morale. Justement, la tunique épouse étroitement cette ligne infléchie. Isabelle a repris les coutures plusieurs fois, en disant : « Mais comme tu t’élances, mon Corbiau ! Est-ce que, déjà, cette taille se dessinerait ? » Elle en soupirait, des épingles plein la bouche, et le Corbiau cachait sa joie, pour ne pas la contrister, en songeant : « Pourvu que j’aie la taille aussi mince que la sienne, aussi souple, aussi ronde ! »