Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
LE RAISIN VERT

quelqu’un ou à quelque chose, de son indicible déception.

— Tu appelles ça une Vénus ! dit-elle, haletante. Tu appelles ça une Diane ! Et ces mollasseries-là, tu appelles ça des cothurnes ! Moi, j’appelle ça des chaussons — et ça — en se frappant rageusement la poitrine, j’appelle ça un petit torchon, en fait de déesse grecque !

— Méchante ! dit Isabelle, tout bas. Oh ! méchante fille ! moi qui me suis donné tant de peine pour que tu sois contente…

Ces cothurnes… elle y avait passé deux nuits. Il y avait eu le problème de la coupe. Fallait-il les tailler de biais ou droit fil ? Longtemps, elle avait étudié des photographies d’antiques, pour tâcher de deviner le secret des cothurnes. Puis il y avait eu le problème de la semelle. Elle en avait peut-être taillé vingt modèles dans la sparterie, avant d’arriver à la forme juste, car la semelle était toujours trop pointue du bout ou trop carrée ou de guingois… Oh ! ces semelles ! Chercher la forme idéale d’une semelle à trois heures du matin, quand tout le corps bâille de fatigue… mais elle pensait à la joie de Lise, et de nouveau reprenait son crayon de tailleur et se penchait sur la sparterie…

Lise aspira l’air entre ses dents serrées, ferma les yeux et brusquement enfouit son visage entre ses bras et se mit à sangloter.

— Ce n’est pas ta faute, ce n’est pas ta faute…

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Laurent. Ça grinche, par ici ? Mademoiselle n’est pas contente ?

Il ressortait du cabinet de toilette, où il s’était barbouillé dérisoirement de rouge et de blanc, faisant un clown du joli Pierrot. Mais qu’avait-il donc de changé aux yeux ?

— Oh ! s’écria tout à coup Isabelle, il s’est coupé les cils !