Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LE RAISIN VERT

chignons de Vénus… Lise, je t’en prie, reste tranquille une seconde. Comment veux-tu que j’arrive à t’habiller si tu continues à jouer la femme-serpent ?

Lise renonça à embrasser du même coup d’œil son talon chaussé du cothurne et la grecque d’argent qui frôlait son genou nu. Elle retardait le moment où elle se regarderait dans la glace et tâchait en attendant de se faire une idée d’elle-même par petits morceaux. Le jugement de Laurent l’inquiétait. Était-elle vraiment quelconque ? Ne pourrait-elle arriver à lui faire dire qu’elle était très bien ? Un coup d’œil boudeur et chagrin lui montra Laurent en train de dessiner. Il avait pris ses pastels et crayonnait la silhouette du Corbiau, assise en tailleur sur un coussin, au pied du lit.

Par échappées furtives, la petite Schéhérazade captait sa propre image reflétée dans la glace, et, baissant les paupières, couvait longtemps sa vision, avec un sourire de ravissement immobile.

Isabelle essayait d’ajuster les cheveux de Lise en un chignon fuselé, lié de trois bandelettes, mais ces cheveux indociles, trop légers, échappaient aux liens et laissaient glisser les épingles. Il fallut les coudre avec du fil à bâtir. Tout en cernant à grands points cet ouvrage de couture insolite, Isabelle, du coin de l’œil, regardait naître l’esquisse sous le crayon de Laurent.

Il avait tracé un ovale vide à la place du visage de son modèle, cherchant à reproduire le mouvement du corps et les jeux de couleurs. Quand il eut zébré de hachures vives la tunique et bourré de vert tendre les deux jambes croisées dont il avait saisi l’attitude à la fois vivante et figée, il prit un crayon à la sépia et se concentra un moment, l’œil intense, la main planant au-dessus du papier où la pointe du crayon décrivait des cercles invisibles de plus en plus petits, cherchant un centre, et tout à coup, le centre étant