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LE RAISIN VERT

si Amédée avait pu l’entendre, du fond du Jura.

Pour le Corbiau, dont la mince silhouette, les longs cheveux noirs et les tempes élargies s’apparentaient un peu au type cambodgien, Isabelle avait conçu un costume oriental de pure fantaisie. La tunique de satinette jaune safran, qu’un cerceau maintenait écartée autour des genoux, était brodée d’un dessin persan aux tons blanc, vert pistache et noir. Le pantalon bouffant, vert pistache, était de gaze unie. Mais la broderie reparaissait sur les petites babouches de cuir cramoisi et sur le turban de lamé vert pâle où une sorte d’hiéroglyphe tracé à l’aiguille retenait une aigrette de soie floche, au panache couleur de feu. L’ensemble évoquait le plumage d’un oiseau fabuleux, tenu captif dans la volière d’une sultane.

Lise n’enviait pas ce costume éclatant. La tunique lacédémonienne qu’elle revêtirait tout à l’heure n’était à tout prendre qu’une chemise de crépon de coton bleu pâle bordée d’une grecque en galon d’argent. Mais quand on s’est enivrée tout un hiver des Aventures de Télémaque, une chemise grecque évoque plus de choses qu’on n’en saurait dire. Et Lise serrait sur son cœur avec transport les cothurnes de satin qu’Isabelle, à bout de ressources, lui avait taillés dans un reste d’étoffe de sa robe de mariée.

La même robe, conservée jusqu’alors par tradition provinciale, avait fourni le costume de Pierrot blanc, orné de gros boutons cramoisis, qui était destiné à Laurent. En était-il satisfait ? Personne n’aurait su le dire. Il surveillait les préparatifs d’un œil grave et lointain et ne manifestait aucune émotion déplacée. Les filles se gardaient d’insister, trouvant déjà très beau qu’il consentît à se costumer et à venir au bal. Et Lise se demandait s’il pousserait la complaisance jusqu’à valser avec elle, comme autrefois.

Autrefois, c’est-à-dire avant son entrée au collège. Lise gardait le souvenir inoubliable d’un cake-walk