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LE RAISIN VERT

Dernièrement encore, un soir qu’Isabelle jouait un passage du ballet de Sylvia, pour le plus grand ravissement de Lise qui mimait le pas des Esclaves, entre les deux miroirs parallèles, M. Durras était apparu au seuil du salon, sévère et muet, l’œil dur, la lèvre fébrile, et, tirant deux sous de sa poche, les avait jetés par dérision sur les touches du piano. Cette apparition avait terminé la fête aussi brusquement qu’une rafale de vent éteint les lanternes vénitiennes préparées pour un bal champêtre.

« S’en ira-t-il ? S’en ira-t-il ?… » se demandait Isabelle, taillant fiévreusement gazes et satinettes, dans le silence nocturne, coupé de roulements sourds, de pas lents de percherons chargés, de voix d’ivrognes aériennes. Elle n’allait se coucher qu’à l’aube, reins las, paupières brûlantes, en espérant secrètement que des travaux d’approche aussi déterminés forceraient le destin.

Ce fut en effet ce qui arriva. L’avant-veille du bal, M. Durras annonça qu’il partait pour le Jura, où il comptait passer quatre ou cinq jours. Isabelle prépara sa valise avec allégresse, mais sans étonnement. Le fatum ne la surprenait que lorsqu’il agissait contre elle. Tous accompagnèrent Amédée à la gare, comme ils le faisaient toujours et, en rentrant à la maison, ils dansèrent autour de la table en se tenant par les mains.

C’était déjà une fête que les préparatifs de la fête. Dès le matin, les enfants voletaient autour d’Isabelle, occupée à de mystérieuses cuisines de beauté, où entraient l’œuf du jour, le lait frais, les amandes pilées, le jus de citron et la racine d’iris. Par une ironie toute involontaire, on avait étalé les costumes sur le lit de M. Durras, dans l’alcôve qui prolongeait son bureau. De temps en temps, l’une des petites filles allait les contempler, marchant furtivement sur la pointe des pieds, comme