Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
LE RAISIN VERT

moquerie sa petite voix blanche, sans accent. Est-ce que c’est cette jeûne homme qui te rend hounteuse ?

Il y avait quelque chose de désespéré dans la manière dont le Corbiau rougissait, lentement et si fort que tout le monde était forcé de s’en apercevoir. Elle seule voulait l’ignorer, jusqu’à ce que la nappe de sang eût quitté ses joues. À ce moment-là, elle pensait qu’elle avait rougi devant tout le monde, et les battements de son cœur faiblissaient, elle devenait aussi pâle qu’elle avait été rouge et il lui semblait que la vie allait sortir de son corps par le bout des doigts.

C’est ce qui lui arriva cette fois-ci encore. Laurent était assis à côté d’elle, la tête droite et le sourcil froncé et il fit celui qui ne voyait rien, tandis que les jeunes filles s’esclaffaient. Laurent était le seul être en présence de qui on pût rougir en toute sécurité. Non seulement il ne vous demandait jamais : « Qu’est-ce que tu as ? » mais il s’interdisait à lui-même de se le demander.

Moun’ Dieu, s’écria Nina, qu’elle est droite ! Et qui est cette jeûne homme qui fait que tou ne me connais plus ?

— C’est mon frère, mademoiselle, répondit la petite voix blanche et sans accent.

Eh bienne, dit Nina, ton frère, il est un grogneux’ ! Hou ! qu’il a l’air aimable !

Et toutes s’esclaffèrent et s’envolèrent avec bruit.

Ce fut un grand soulagement d’entendre le rire essoufflé de Lise, qui revenait en sautant, la main dans la main d’Isabelle :

— Si tu savais, maman, Gisèle Denis, comme je l’aime ! Elle m’a donné sa gomme, je lui ai donné mon crayon, et je crois que je vais lui donner encore ma boule en papier d’argent, tellement, tellement elle est friponne !