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LE RAISIN VERT

était d’une nature trop corrosive pour jamais engendrer l’habitude. Grand malheur, se disait-elle, vaut mieux que petit bonheur.

Et ses pensées la ramenaient à Laurent, en qui éclatait toute la violence paternelle, doublée de la même répugnance profonde à l’effort.

Les premières semaines au collège avaient été infernales, comme il fallait s’y attendre. Chaque récréation déchaînait une bataille. Laurent revenait à la maison bleu de coups, fumant de colère, son col arraché, pudiquement refermé sur sa poitrine par une épingle de sûreté sortie des réserves de la sœur infirmière. La brutalité des surveillants aux prises avec un troupeau humain qu’ils traitaient selon la méthode des dompteurs, le système des retenues et des pensums, la suspicion et la menace qu’il sentait partout, affolaient sa nervosité, et le faisaient se ruer sur l’adversaire. Et il fallait déployer à la maison des prodiges d’ingéniosité pour dissimuler la crise à M. Durras, dont les interventions n’auraient fait que pousser les choses au pire.

Enfin, lorsqu’il eut acheté son prestige à coups de poing et appris à composer avec le caractère, les manies et les tics de chaque surveillant, Laurent goûta une tranquillité relative. Il avait crayonné le profil de sa mère sur tous ses livres de classe. C’était là sa sauvegarde et sa consolation, quand il se sentait par trop abandonné dans ce monde où des nécessités cruelles l’avaient jeté. Mais il lui arrivait encore de sangloter dans son lit, lorsqu’il pensait que tous les jours, et pendant des années, il lui faudrait aller au collège.

« Et ce n’est encore qu’un commencement, » soupira Isabelle, songeant à toutes les contraintes auxquelles elle-même avait dû plier sa nature rebelle.

M. Alapetite venait à elle à travers le parloir. Elle vit avec sympathie sa haute figure, ses gestes mesurés,