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LE RAISIN VERT

me battre avec les petits garçons bouchers, dire des gros mots et ne rien faire et que cela te soit égal. Et si cela ne t’est pas égal… eh bien ! je veux qu’à moi, cela me soit égal que tu aies de la peine.

Et Laurent serra les mâchoires, durcit les poings et articula tout haut, avec effort :

— Je n’irai pas à ton collège. Et si tu m’obliges à y aller, je taperai sur tout le monde.

— Ce n’est pas mon collège, dit Isabelle, doucement, tristement. C’est le tien. Ce n’est pas pour moi que tu iras au collège, c’est pour toi. Ce n’est pas moi qui veux que tu travailles et que tu deviennes un homme instruit, c’est toi.

— Moi, moi… gronda Laurent. Moi, je ne veux pas la même chose que toi.

— Alors, que veux-tu ? demanda Isabelle en s’asseyant sur l’angle de la malle. Tu veux aller demander à toutes les concierges du quartier : « Pardon, madame la concierge, voulez-vous avoir la bonté de m’autoriser à jouer un petit air d’ocarina dans votre cour ? » C’est cela que tu veux ?

Laurent jeta autour de lui un regard traqué :

— Je veux… dit-il, je veux… Je ne sais pas ce que je veux…

Brusquement, il éclata en sanglots et, parmi ses hoquets, il répétait d’une voix basse, entrecoupée :

— Je veux qu’il s’en aille. Je veux qu’il s’en aille…

M. Durras avait rapporté des gâteaux. Il l’annonça en se mettant à table, avec un sourire qui offrait la paix, mais que l’expression de ses yeux démentait formellement.

« Merci, papa, merci, oncle Amédée, » chantonnèrent les enfants, avec ensemble, mais ils évitèrent de se regarder, craignant qu’Amédée ne lût dans leur