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LE RAISIN VERT

serrées, regardait tantôt le visage pâle et dur de M. Durras, tantôt celui, frémissant, de sa mère. Et quand ses yeux s’arrêtaient sur son ennemi, une perspicacité indignée accusait sa ruse. Quel enfant, mis en pouvoir de choisir entre l’internat et la maison, choisirait l’internat ? Mais en avouant sa préférence il avouait une défaite, une faiblesse de fille, qui veut se faire gâter. Aussi, lorsqu’il regardait sa mère, le premier élan de tendresse destiné à la rassurer : « Va, j’ai compris, ne crains rien, » se voilait presque aussitôt sous un orage où il y avait du défi, du reproche et la méfiance profonde du garçon envers la femme. C’était autant de poignards qui s’enfonçaient dans le cœur d’Isabelle : « Croit-il vraiment que je veuille le garder à la maison pour mon plaisir ? Ne sait-il pas que je passe mon temps à lutter contre ses défauts avec une persévérance dont aucun étranger ne serait capable ? » Mais le soupçon était semé, la confiance ternie. M. Durras savait trouver des alliés chez Laurent.

— Eh bien ? dit Amédée. J’attends.

Le Corbiau appuya sa tête sur le dossier du canapé, ferma les yeux et poussa un faible soupir.

— Je… bégaya Laurent. Je-je-je…

— Tu bafouilles, dit Lise en lui coupant vivement la parole.

Elle était un peu pâle et sa voix sonna fêlé, si grêle, dans le silence tandis qu’elle s’adressait à Laurent, de lui à elle, faisant mine d’ignorer la présence de son père :

— Voyons, mon frère, tu n’as pas encore douze ans et tu déciderais toi-même de ton éducation ? Mais songe un peu, c’est un scandale. Depuis quand les enfants ont-ils décidé à la place des parents ?

— En effet, dit Isabelle. Cela nous regarde seuls, Amédée, et nous en reparlerons quand nous serons seuls.