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LE RAISIN VERT

commence à aimer quelqu’un. Pourtant, il n’y a personne. C’est en moi. J’aime, voilà tout, et tout devient une promesse. »

Elle s’allongea sur le divan, éteignit la lumière et demeura là, les mains croisées sous la tête, inexplicablement heureuse et tranquille.

« Cette fois, se dit-elle, je crois que j’approche d’un soleil qui n’entrera pas en collision avec le soleil des Durras. Au contraire, il va l’absorber et je retrouverai en lui tout ce que j’aime, sans être obligée de détruire l’un pour conserver l’autre.

« Je crois que c’est cela que j’ai cherché depuis le commencement. Et je crois que je l’ai trouvé cette nuit, dans une chambre dont je ne pourrais même pas reconnaître la porte, une fois que j’en serai sortie. »

Les yeux fermés, elle souriait dans l’ombre. Elle était au fond de sa maison du champ de seigle, au fond de ce nulle part où s’éteignent les bruits de la terre, pour laisser parler le langage indéchiffrable de Dieu.

— Blonde schizophrène, demanda Édouard Tiercelin en regardant Lise du fond de ses orbites creuses, le menton rentré dans son faux col, pourriez-vous me dire où votre sœur et cousine, la gracieuse Comtat, promène en ce moment ses complexes ?

Petit, mince et nerveux, il opposait à Lise, debout à l’entrée de la salle de danse, son front vaste et bombé et son sourire sardonique, la lèvre d’en haut avalée par celle d’en bas.

— Vous, le carabin, répliqua Lise avec un coup d’œil peu amène, vous êtes prié de laisser le vocabulaire professionnel au vestiaire, et ce regard d’hypnotiseur également. Apprenez que le mot de schizophrène ne représente pour moi qu’un fort joli coquillage. Quant à ma sœur, elle est là où il lui plaît d’être,