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LE RAISIN VERT

au mariage par présentation, je n’ai pas assez de mots pour remercier les dieux.

« Ceci dit, j’avoue que nos bals manquent un peu de chic. Et puis, ces danses qui ont le don de vous rendre muets, ce n’est pas enchanteur. On a plutôt l’impression de ramper que de danser. Mais enfin, elles ont du rythme. Que faut-il de plus pour être heureux ?

— Ce ne sont pas les danses qui me déplaisent, dit le Corbiau. Ceux qui dansent non plus. Quand j’arrive au bal, je suis contente. Je retrouve des figures de connaissance, tout va bien. Et puis, tout d’un coup, je commence à m’ennuyer et je me dis : « Qu’est-ce que je fais là ? Que font tous ces gens ? Qu’est-ce qu’ils attendent ? »

— Alors, s’écria Isabelle, je te vois d’ici. Tu vas t’asseoir dans un coin, les épaules remontées comme un vrai corbeau gelé et tu ne bouges plus. Au lieu de secouer ton impression, tu la subis. Va, mon Corbiau, va au bal de Normale avec Lise. Si on te laissait faire, tu refuserais tout. Ce n’est pas ainsi qu’on se prépare à vivre.

— Vous ne dansez pas ? demanda Jacques Henry.

Il avait surgi de la foule, de la lumière et du bruit et se tenait debout devant Anne-Marie, assise dans un coin de la grand’salle du rez-de-chaussée.

Elle lui sourit faiblement des yeux.

— Je viens de danser, et j’ai un peu mal à la tête. Il fait chaud ici, vous ne trouvez pas ?

— Voulez-vous venir faire un tour dans le jardin ? En vous couvrant bien ?

— Non, merci. Je n’ai pas envie de bouger.

— Pas envie de parler non plus ?

— À peine, avoua-t-elle en souriant.

— Cela veut dire qu’il faut que je m’en aille ?