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LE RAISIN VERT

mir, le sourire persistait, comme un autre regard.

Isabelle, les larmes aux yeux, contemplait tendrement cet enfant de sa race. Lise admirait sa ressemblance avec la figure androgyne de l’ange de Reims, au céleste sourire paysan. Et le Corbiau, voyant la lumière du couchant nimber cette tête charmante, pensait : « Demain peut-être, il sera mort, carbonisé, tout noir. Et personne ne peut rien pour empêcher cela. Ni sa mère, ni sa maîtresse, ni moi, qui l’aimons. »

Une explosion de chagrin bruyant la tira de sa rêverie. C’était un petit artilleur qui pleurait, le cœur crevé, tout à coup, par une réminiscence :

— Clémenti…ine ! Clémenti…ine !

Son compagnon lui prit la nuque entre le pouce et les doigts et berça rudement cette tête naïve et pleurante de jeune villageois :

— Eèh ben ! Eèh ben ! C’est pas fini ?

Lui, l’homme, avait des traits durs sous le casque, des yeux noirs sans reflet, des plis profonds, quarante ans d’âge et trois ans de guerre. Il balançait l’enfant qui se laissait faire, pleurant toujours, à grosses larmes :

— Clémenti…ine ! Clémenti…ine !

— Ferm’ça, dit l’autre, ferm’ça. Tu nous cours, avec ta Clémentine. Toutes les poules, à la gare. On s’en passe, nous aut’ des poules, tu sais bien ?

Au creux de son coude, comme dans un collier de joug, il emprisonna la tête abandonnée et, jetant un regard de défi aux trois femmes silencieuses :

— C’n’enfant-là, mesdames, au front, c’est ma pépée. Zoui.

Ainsi le réel assaillait de toutes parts les seize ans éblouis de Lise Durras. Et, si cette jeune personne avait renoncé sans trop de peine à composer des vers le jour où elle s’était rendu compte que son talent