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LE RAISIN VERT

— Eh bien ! demanda la voix nasale d’Amédée, vous êtes servie, je pense ? Pas amusant, la solitude ? Chacun son tour.

On aurait cru que ces paroles avaient retenti sur la petite place ovale, dont l’église gothique figurait le chaton élancé et noirci, sous un ciel d’avril pommelé de nuages blancs.

Et, bien qu’Isabelle sût que c’était en elle qu’il avait parlé, elle défia encore dans l’espace un interlocuteur invisible, tandis qu’elle répondait par la pensée :

— Je ne suis pas seule. Et si le petit est content, je ne me plains de rien.

Elle vit en elle-même, aussi nettement que s’il eût été présent, le changement de physionomie d’Amédée. Triomphant tout à l’heure, il prit cet air battu, à la fois naïf et rancunier qu’elle lui avait vu si souvent :

— Vous avez toujours eu réponse à tout, dit-il. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point c’est effrayant, quelqu’un qui gagne à tous les coups.

Cette fois, se souvenant d’une parole presque semblable qui avait échappé au Corbiau, elle fut touchée et, comme autrefois, soupira : « Ce n’est pas de ma faute. »

— Vous rendez-vous compte aussi, reprit-elle, à quel point c’est effrayant de ne pouvoir accorder soi-même un instant à l’illusion, parce qu’on n’a pas le droit de le faire ? Où serions-nous, si je vous avais suivi sur le terrain Pignardol et Cie ? Croyez-vous que ce soit une existence, d’être toujours sur le qui-vive ?

— Assurément, dit Amédée, assurément. Mais vous savez bien que je vous ai toujours tenue en haute estime. Et, même, j’ai eu pour vous plus que de l’estime, mais sans être payé de retour.

Isabelle appuya mélancoliquement sa main de vi-