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LE RAISIN VERT

— Toutes les brutes.

Laurent secoua la tête et s’assit au pied du lit :

— Tu aurais trop d’ouvrage.

Il avait retrouvé son regard d’enfant sérieux et cela, malgré tout, la rassurait. « Au fond, se dit-elle, il réagit, mais il fait parade du contraire. C’est bien de son âge. »

— Vois-tu, reprit Laurent, nous nous sommes trompés, tous les quatre. Tu nous as dirigés vers un idéal, nous t’avons suivie. Tu as promené devant nous une haute image de nous-mêmes, supériorité de l’esprit, liberté, discipline personnelle, etc., et nous avons tous marché en procession comme l’âne derrière la carotte. Carotte en effet, et de belle taille. Pour arriver à vivre en ce monde, il ne faut pas chercher à se distinguer de la foule. Il vaut mieux se dégrader à son image.

— Tais-toi ! s’écria Isabelle. Tais-toi, mon fils, ou je t’étrangle. Qu’as-tu fait du sang que je t’ai mis dans les veines ?

Laurent se mit à rire tout bas. Tandis qu’il prononçait ces paroles de désespoir, le témoin doux, triste et lucide brillait toujours au fond de ses yeux réfléchis.

— Tu oublies, dit-il, que je n’ai pas seulement de ton sang dans les veines.

— Hélas ! soupira Isabelle.

— Ah ! ça, reprit Laurent, vous êtes étonnantes, vous, les femmes. Au fond, l’histoire de la Sainte Vierge vous a tourné la tête. Vous rêvez toutes d’avoir des enfants sans père. Si on se figure que c’est arrivé, on risque d’avoir des surprises. Aussi vaut-il mieux accepter ce qui, est puisque aussi bien on ne peut rien empêcher.

« Vois-tu, j’ai réfléchi à bien des choses en épluchant mes patates. À bien des choses qui m’ont longtemps paru compliquées, incompréhensibles et effrayantes. Au fond, c’est très simple. Il y a, en gros,