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LE RAISIN VERT

M. Durras, d’ailleurs, déserta la maison pendant toute la période de l’emménagement. Des nécessités professionnelles qui ne souffraient aucun retard le retenaient dans Paris, loin de la poussière et des corvées, jusqu’à l’heure limite du dîner. Et l’on entendait parfois Isabelle demander d’un ton négligent, lorsqu’il rentrait, passé sept heures du soir :

— Je croyais que la Bibliothèque nationale fermait à quatre heures ?

Et M. Durras répondait sèchement :

— Je n’étais pas à la Nationale, j’étais au Muséum.

— Ah ! reprenait la voix innocente. Je croyais… vous aviez dit ce matin…

— Eh ! bien, vous aviez mal entendu. Un point, c’est tout.

Un soir, Isabelle s’approcha de lui et pluma délicatement, du pouce et de l’index, le col de son veston.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il hérissé.

— Rien. Un cheveu. Aujourd’hui, il est blond. À propos, une question, mon ami : pourquoi les Parisiennes usent-elles de parfums aussi violents ? Elles n’ont donc pas d’odorat ? C’est bien indiscret.

Dans les cas de ce genre, une expression d’horreur surnaturelle se peignait sur les traits de M. Durras. Puis, après un moment de désarroi, il fonçait à son tour, parcourait la maison de son pas sec et rapide de montagnard, qui faisait craquer les vieux parquets fléchissants :

— Encore de la paille dans la salle à manger ? Ce n’est pas supportable. Marie, prenez-moi un balai et une pelle et enlevez-moi cette paille. Quoi ? les buffets ne sont pas rangés ? Eh ! bien, ils devraient l’être. Voilà tout. Je m’en moque qu’il y ait encore de la paille dans les assiettes. Je m’en moque qu’on attende le frotteur. Enlevez-moi ça. Et pourquoi n’a-t-on pas mis mon classeur en ordre ? Quoi ? Parce qu’on a accroché les lustres. Eh ! bien, il fallait laisser les