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LE RAISIN VERT

Un contingent de réfugiées était venu grossir la classe. Filles du Nord pour la plupart, au teint pâle, aux cheveux blonds, elles gardaient les traces des privations et des souffrances endurées.

Le contraste n’en fut que plus frappant lorsqu’on vit se lever d’entre leurs rangs, pour répondre à l’appel, une haute et bondissante créature qui rejeta en arrière, d’un coup de tête, une crinière plate, longue et brune, et lança hardiment, d’une voix au timbre de bronze, un nom plein de vent, de sauvagerie, de combats : Emmanuelle de La Roche-Sabré.

On devait savoir un peu plus tard qu’elle arrivait d’une petite gentilhommière des Ardennes, repaire de hobereaux chasseurs entre étangs et forêts et qu’elle avait passé plus de temps à courir avec ses chiens et à grimper aux arbres qu’à étudier les programmes de l’enseignement secondaire.

Déjà se propageait dans la classe cette petite fièvre qui marque la reconnaissance d’une élue. Les plus jolies : Solange Dreyfus, Minnie Mayer, Cassandre elle-même au nez grec, aux cheveux vénitiens, se sentaient dépossédées de leur royauté et l’acceptaient presque de bonne grâce, tant le prestige de la nouvelle venue s’affirmait indiscutable.

Elle orientait les regards, pendant que l’appel se poursuivait, droite à son pupitre, offrant à contrejour, dans la lumière grise d’une matinée d’octobre sans soleil, la courbure de son profil aquilin, au petit menton retroussé. Sa toison de fille sauvage que ne retenait ni peigne, ni ruban, dessinait la forme de sa tête à la manière d’une étoffe mouillée, coulant ensuite d’une seule nappe de ses épaules à ses reins. De temps à autre, une petite patte brune, enfantine, repoussait avec impatience une mèche détachée des autres qui revenait sans cesse barrer la joue ronde et halée.

D’un geste brusque, elle tourna la tête vers celles