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LE RAISIN VERT

volonté à travers l’espace, pour enjoindre au garçon de se sauver. Le voulait-il ?

Il le voulait et ne le voulait pas. Une faculté de perception rapide, des muscles exercés, des sens subtils, résistent à la persévérance obscure qui tente de les annihiler. Assaillie par les vagues qui venaient du nord en plis réguliers, balancée par le remous saliveux du bateau qui faisait machine arrière, battant l’eau de ses aubes, tandis que le pilote déversait du haut de la dunette un torrent d’injures sur le rameur, et prise de biais par le ressac sournois du rocher, la barque pivotait sur son axe, roulait bord sur bord, mais toujours un coup d’aviron la redressait. On aurait pu croire à un jeu, le jeu de quelqu’un qui veut éprouver les limites de ses forces et de sa chance.

Un moment après, le vapeur accostait au ponton. Dans un brouillard, le Corbiau perçut le caquet des paysannes qui interrogeaient le « capitaine » et le grommellement de l’homme, en patois savoyard : « N’étout un qu’ chercha la mô’, c’étout pas poussible ! »

Le bateau s’éloigna, environné d’écume et du fracas des aubes.

« Un qu’ chercha la mô’… » On la cherche si souvent à cet âge, et elle vient si volontiers à l’appel ! Pour une réprimande, pour un pari. Parce qu’une voix de femme a dit : « Petit sot ! » Ou celle d’un camarade : « Chiche ! » Pour rien, comme on dit. Mais n’est-ce pas derrière ce « rien » que se dissimulent les motifs essentiels ?

Et si Isabelle, depuis des mois, se retire et se tait, n’intervient plus en apparence dans la vie de son fils, n’est-ce pas pour éviter d’être celle à qui une voix intérieure dirait : « Chiche ! » Elle déjoue l’adversaire par la fuite, dans ce duel insondable.

Le Corbiau soupire, étend une main de fillette maigre, qui pianote mollement dans l’espace. Sa tête