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LE RAISIN VERT

qui lui annonçaient la mort du capitaine Durras, tué d’une balle au front, en Champagne.

Ce bel après-midi de septembre… La bise, le vent du beau temps, soufflait depuis le matin, durcissant le ciel pur, d’un bleu de porcelaine, sur lequel s’érigeaient les tours crayeuses des montagnes décolorées par l’éclatante lumière. À travers le rideau de peupliers qui masquait la maison du côté de la route, on apercevait un coin du lac, presque violet, couleur d’aconit, incessamment piqueté de flèches d’écume. Les trois femmes se tenaient assises en silence, sur le banc ombragé par l’auvent de la maison, dans la cour herbue qui précédait un petit jardin planté de bettes, de cardons et de ces rosiers blancs aux fleurs multiples, petites et odorantes que l’on nomme « bouquets de la mariée ».

Toutes les trois étaient plongées dans la stupeur qui suit la nouvelle d’une mort. Laurent avait disparu, sans un mot, après la lecture de la lettre. Il était alors onze heures du matin. On approchait de quatre heures et le jeune garçon n’avait pas reparu. Peu à peu, le souci de son absence prenait la place de l’autre obsession.

Isabelle finit par murmurer à mi-voix, regardant le lac moucheté d’écume :

— J’espère qu’il n’est pas sorti en barque, par ce vent.

— Mais non, dit Lise. Il n’aime pas ramer contre les vagues.

Une accalmie du vent laissa flotter l’odeur des roses blanches. Lise aurait voulu être n’importe quoi — une mouche, un canard, ce rosier blanc — n’importe quoi, sauf une créature consciente, qui se contraint à penser à une chose qu’elle ne comprend pas.

Pour elle, ses parents étaient invulnérables, immor-