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LE RAISIN VERT

— Un, deux, trois… sur la troisième dalle du trottoir, juste à côté de la bonne femme qui vient…

La dame qui passait sursauta de saisissement en voyant un lycéen de quinze à seize ans vêtu d’un complet beige et coiffé jusqu’aux oreilles d’un chapeau melon faire un bond de grenouille sur le trottoir, accompagné d’un glapissement.

Laurent se releva et reprit sa course, riant tout seul. Un peu plus loin, il se découvrit respectueusement pour aborder une dame d’âge moyen, à laquelle il demanda en quelle année on se trouvait et si c’était bien l’année où les poules avaient des dents.

Quand elle l’eut foudroyé du regard, il piqua un galop accompagné de hennissements aigus et s’arrêta net, comme frappé de stupeur, devant une jeune femme moulée jusqu’aux chevilles dans une gaine de foulard à pois, qui progressait à petits pas d’Égyptienne en tâchant de maintenir contre le vent un immense chapeau qui l’ombrageait jusqu’aux épaules.

— Boûdrrl ! dit Laurent tout haut. La belle khândrrl ! Tous les bîîdrrl de ma connaissotte z’y donneraient bien quat’soubraques pour y bicheter la poûndrel !

Lorsqu’il franchit la porte du lycée, Laurent ruisselait de sueur et son imagination commençait d’être à court sur les moyens d’afficher le mépris dans lequel il tenait la plus belle moitié du genre humain.

La fraîcheur du préau lui fit sentir qu’il était mouillé. Les picotements de la sueur aux aisselles, aux plis de l’aine, l’exaspérèrent contre lui-même.

— Quel idiot je suis ! Quel sombre idiot ! Qu’est-ce que je fiche dans l’existence ? J’en ai marre de moi, j’en ai marre…

Comme il s’éventait avec son chapeau, une odeur