Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
LE RAISIN VERT

noir. Très grande pour ses quatorze ans, une chair sans poids sur des os fragiles, en dépit de toutes les ingestions de phosphate de chaux, elle avait tendance à se voûter.

Le souvenir du « Tiens-toi droite », qu’elle entendait dix fois par jour la fit se redresser. Du fond des yeux, elle sourit aux cornues étincelantes, songeant à Isabelle, aux Durras, un exemple de « symbiose » qui défiait les plus puissants microscopes et qui n’en existait pas moins, dans sa vie quadruple.

« Tout se passait comme si » leurs quatre organismes se fussent associés dans la lutte pour la vie et la défense contre Amédée. Non pas leurs organismes physiques, mais leurs esprits, entre lesquels il existait comme des canaux de circulation. N’était-ce pas étrange, qu’il y eût des cas de symbiose spirituelle ?

Le lycée se vidait de sa rumeur par en bas, comme une jarre percée. Les piétinements répercutés par le bois sonore des escaliers, rendirent un son plus clair en s’écrasant sur les dalles du rez-de-chaussée, puis se fondirent en un brouhaha confus et décroissant. La porte vitrée du préau claqua un grand coup, sur un dernier galop de retardataires, que gourmandait une voix criarde. Il y eut encore le pas pressé d’une surveillante dans un couloir, fourmi égarée rejoignant sa tribu. Puis ce fut le silence et, tout en haut des bâtiments vides, la paix étincelante du laboratoire chauffé comme une serre par le soleil de midi.

L’ivresse calme qu’elle éprouvait dans les lieux solitaires s’empara du Corbiau. Elle aurait voulu pouvoir rester là jusqu’à l’heure de la reprise des cours. Mais qu’auraient pensé les siens en ne la voyant pas rentrer avec Lise ? Et comment expliquer que le plaisir de passer deux heures toute seule dans un laboratoire surchauffé pouvait l’engager à se passer de déjeuner et à faire bon marché de l’inquiétude de sa famille ?