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LE RAISIN VERT

Ce qui fit rire Laurent et acheva de le rétablir dans son équilibre.

Mme  Durras songeait encore à cet entretien, l’après-midi, tandis qu’elle accueillait ses invités. Le premier choc passé, elle se réjouissait de sentir l’atmosphère libérée de tous les miasmes qui l’avaient épaissie depuis tant de mois, et, prenant son parti de la phase écoulée, jetait déjà en elle-même les fondations de la phase à venir.

À la rentrée prochaine, Laurent irait au lycée. Ainsi échapperait-il à l’ambiance mystique qui troublait sa nature orageuse et se trouverait en même temps au milieu d’un brassage d’individus plus large, plus fréquemment renouvelé.

Les petites suivraient le même chemin, les cours de la pension Rémusat, plus agréables que substantiels, ne leur suffisaient plus : il allait donc falloir livrer bataille une fois de plus, car M. Durras, entiché des idées de son temps sur l’éducation des filles, n’admettait pas qu’un esprit féminin s’élevât au-dessus du niveau du brevet simple. Mais d’ores et déjà, Isabelle considérait la cause comme entendue. Les petites filles ne demandaient qu’à étudier et l’atmosphère active et gaie d’un lycée, se disait-elle, était nécessaire à ce Corbiau qu’elle voyait là-bas, silencieuse, droite dans sa robe blanche, avec ses yeux trop larges et sa petite bouche ronde et scellée.

Ainsi songeant, Mme  Durras se leva pour aller au-devant de l’abbé Alapetite, qui se tenait debout sur le seuil du salon et promenait autour de lui son lent regard noir et pensif.

Tandis qu’ils échangeaient quelques remarques sur les incidents de la journée, Isabelle se dit qu’elle aurait quelque peine à sacrifier cet ami discret, à qui elle paraissait retirer sa confiance en lui retirant Laurent. Elle-même perdrait en le perdant l’appui d’une