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LE RAISIN VERT

— Va, dit-elle, va te coucher, mon petit. S’il y a une responsabilité à prendre, devant n’importe quel tribunal, tu m’entends ? c’est moi qui la prends tout entière. Je la prends pour vous — se tournant vers son mari immobile et pâle — parce que vous ne savez pas ce que vous faites. Et je la prends pour toi, parce que tu n’as pas demandé à venir au monde et que rien de ce qui arrive n’est de ta faute. Va dormir.

Laurent tourne vers la porte un visage encore hésitant, mais qui dormira paisiblement dans cinq minutes. Le Corbiau s’est éclipsé, sans bruit, comme elle était venue.

Elle se glisse au creux du lit tiède et là, un grand tremblement la saisit.

Est-ce cela, la présence de Dieu ?

Le sentiment d’être à soi-même inconnu, un paysage englouti dans la nuit, et tout à coup un éclair jaillit de la nue sombre, illuminant prairies, chemins, fourrés touffus et jusqu’à la moindre branchette du moindre buisson. Mais avant qu’on n’ait pu prendre connaissance du paysage révélé, dénombrer ses détours, défini son aspect, l’éclair s’éteint et c’est de nouveau la nuit.

Est-ce cela, la présence de Dieu ?

Une petite fille avance en trébuchant sur un chemin obscur, à l’intérieur d’elle-même — ce désert qu’elle préfère à tout — et tout en marchant, elle répète :

— C’est moi qui la prends… C’est moi, c’est moi, c’est moi…

La première communion des enfants donna lieu, selon la coutume, à une « réception ».

M. Durras, qui détestait ce genre de fête, avait annoncé qu’il s’enfermerait dans son bureau jusqu’à sept heures, et qu’alors, si le brouhaha mondain n’avait pas pris fin, il parcourrait l’antichambre en