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II
le raisin vert

C’est elle qui crée le remous, le danger. C’est elle qui a la démarche des romanichelles, le genou qui repousse impatiemment la jupe, le menton levé, l’aplomb du dos qui rejette au néant ce qu’il laisse derrière lui. Et ses mains trop vives, toujours en mouvement, n’ont-elles jamais tordu le cou à des poulets, escamoté des montres ?

Les enfants, parbleu, sont de sa tribu. Elle les appelle « mes Carabis des bois » sans se gêner, devant tout le monde. Même sa petite nièce, Anne-Marie Comtat, lui ressemble. Elle a son genre, un genre à tresser des paniers au bord des routes. Ou bien à danser sur la corde raide. Une petite funambule de dix ans, brune, déliée, taciturne, qui s’avance sur la corde tendue, son corps maigre tremblant un peu sous ses oripeaux, et ses prunelles trop larges regardent fixement le public, sans le voir. Corbiau Gentil… encore un nom qui sent la roulotte.

Pourtant c’est la petite blonde, Lise, la Zagourette, qui danse le soir au salon par pure joie naturelle, marque le rythme avec ses coudes et lance les jambes au plafond en chantant à pleine gorge :

C’est la danse nouvelle,
Made-moi-selle,
La danse qui nous aguiche,
C’est la mat-chiche…

Après quoi, elle salue, sourit et s’avance à petits pas de pie vers l’aréopage, l’œil brillant, moqueur, sociable, quêtant les sympathies. Celle-là pactiserait volontiers, mais son frère, un janissaire de onze ans, accoté à la porte du salon, la surveille, poil brun, regard sombre. Et lorsqu’elle croit tenir, déjà, la faveur des vieux messieurs troublés, l’indulgence des vieilles dames amusées, il tranche le pacte d’un ordre bref : « Ici ! » Alors, la transfuge pirouette sur ses talons et rejoint la tribu. Demain, s’il tombe une