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LE RAISIN VERT

— …Oui, docteur.

— Pas… de petits ennuis quotidiens ?

Le visage levé devient si pathétique, le regard prend une telle force d’imploration que, soudain, cet homme de cinquante ans passés se souvient de sa douzième année et comprend. Trop tard.

Elle s’est enfuie, légère comme une ombre et disparaît dans le jardin touffu. Saisi de nostalgie, le docteur Olivier regarde la place où se tenait tout à l’heure l’image de l’amour pur, tendant vers lui son visage puéril, d’un mouvement de biche qui demande du pain.

Assise sur le gravier, à l’ombre du grand magnolia qui marquait le tournant de l’allée, le Corbiau cachait entre ses mains son visage brûlant. C’était donc là les paroles immortelles qu’elle avait rêvé d’entendre ?

Elle tressaillit et prit un air indifférent, lorsque des petits pas pressés s’approchèrent de sa retraite.

Lise accourait, toute émoustillée, les cheveux en l’air, les yeux scintillants :

— Écoute, écoute… J’étais sur le mur, cachée par la touffe de lierre. Je m’étais mise là pour pas que le docteur me trouve, s’il avait voulu me « consulter », on ne sait jamais. Cette manie qu’ils ont tous… Tu as vu, toi, hein ? Je me disais, sur mon mur : « Mais qu’est-ce qu’elle attend pour se sauver ? » Tu y as mis le temps. Mais alors, ma chère, tu ne sais pas le plus beau ? Il est resté pétrifié, comme si tu t’étais changée en nuage. Et tout d’un coup il a murmuré, d’une voix toute chose : « Ô Psyché… » Qu’est-ce que tu dis de ça ?

« Psyché, entends-tu, il t’a appelée Psyché ! Ça n’a pas l’air de te faire plaisir ? C’est pourtant joli. Moi, si un monsieur m’appelait Psyché, eh bien, ma vieille… »

Incapable d’en exprimer davantage, elle secoua ses