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LE RAISIN VERT

En passant devant l’auberge, une bouffée fraîche, humide, qui sentait la lie et la sciure de bois, vint balayer le visage en sueur d’Amédée. « Entrons cinq minutes, se dit-il, le malade n’en mourra pas. »

La salle était basse, enterrée, une sorte de cave où luisait faiblement le mauvais tain d’une glace criblée d’ordures de mouche, au-dessous d’un rameau de buis. La fraîcheur et l’obscurité vous accueillaient comme un bain.

Quand M. Durras eut avalé un pichet de cidre, il s’aperçut qu’il mourait de faim. Le médecin devait être à table, il ne se dérangerait certainement pas tout de suite.

— Faites-moi sauter une omelette au lard, vite, je suis pressé. Et donnez-moi du saucisson en attendant.

Après l’omelette, la patronne lui proposa une friture qu’il ne sut refuser et du flan au pruneau et à la fleur d’oranger.

« Bon, se dit-il, puisque j’ai déjeuné, Isabelle pourra manger à son tour pendant que je m’occuperai de Laurent, si elle ne veut pas le laisser seul. »

Comme il était en train de régler l’addition, une silhouette passa devant la fenêtre borgne, ouverte presque au ras du sol et il reconnut sa petite nièce qui marchait vite, le front penché.

Il la rejoignit sur le sentier montant, passé le dépotoir où fleurissait le yucca.

— Où vas-tu ? Chercher le médecin ? Mais puisque j’y vais. Ta tante n’est pas folle ?

— Non, dit-elle posément, vous n’y alliez pas. Vous ne tenez pas du tout à ce que Laurent guérisse.

— Quoi ! s’écria-t-il, suffoqué. Songes-tu à ce que tu dis ? Moi, souhaiter du mal à Laurent ? Mais as-tu seulement songé à l’existence que j’aurais entre vos trois figures d’enterrement, si jamais il lui arrivait malheur ?

Elle le regarda, de ses grands yeux :