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LE RAISIN VERT

reux. En tout cas, moi présent, tu es prié de mettre une sourdine à tes bas instincts. Et pour commencer, tu viendras avec moi présenter tes excuses à Mme Le Cloarec ou tu ne remettras pas les pieds à la maison. Je t’attendrai là-haut jusqu’à midi. Tu ne déjeuneras pas avant de t’être exécuté. À tantôt.

Il s’éloigne à grands pas, froissant sous ses pieds les chardons nains qui font un bruit de verre fin qu’on écrase. Laurent le suit des yeux, blême, le visage contracté. Et quand il a disparu, le garçon est encore immobile à la même place, mordant et remordant sa lèvre épaisse qui tremble, serrant les poings et respirant de plus en plus vite.

« Rentrer à la maison ? Rentrer à la maison ? Rentrer à la maison ? Retrouver sa figure ? Présenter des excuses ? Rentrer à la maison ?

« Plutôt crever, crever, crever. Plutôt crever. Plutôt… Pouah ! J’ai assez de moi. Quel débarras pour tout le monde.

« Et si maman pleure, eh ! bien ça lui apprendra à m’avoir fait. On ne fait pas ça. Et si on le fait, eh ben, tant pis pour ce qui arrive. On est puni et c’est justice.

« Rentrer à la maison ! Ah ! par exemple, j’en ai plein le dos, de la maison… »

Et son regard se fixe sur la ligne brillante de la mer étale à l’horizon. Tout son visage se fixe, durci, acharné, féroce. Il ne pardonnera pas à sa mère, à ses sœurs, de tant aimer ce garçon qui ne s’aime pas lui-même. À l’instant, il va les en punir.

Le soleil était déjà haut lorsque M. Durras rentra dans le jardin. Il y trouva sa femme qui paraissait l’attendre avec impatience.

— Avez-vous vu Laurent ? demanda-t-elle.