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PROLOGUE




Dans le cours des rivières, il est des anses tranquilles qui retiennent les débris charriés par le courant, écume de savon des lavoirs, fragments de bois mort, rongés des guêpes.

Ainsi, les pensions de famille dans les grandes villes. On y trouve en toute saison des vieillards occupés à se conserver, sous une taie d’oubli. Quand un voyageur passe, il crée un remous dangereux, il est mal vu.

M. et Mme Durras, leurs deux enfants, leur petite nièce, abrités pour quelques jours dans l’une de ces anses entre cour et jardin, au fond d’une rue proche de l’Étoile, on les a tout de suite surnommés « les bohémiens ».

Bohémien, Amédée Durras ? « Absurde ! » dirait-il en levant les épaules. Il aurait raison. Personne n’a plus que lui l’air fixé. Son long buste étroit et raide, comme celui des Jésus de bois primitifs, ses joues larges, pâles, cernées d’un ourlet de barbe, bien posées sur son faux col, lui confèrent le prestige anti-bohémien par excellence, le prestige assis.

Les occupants de la pension de famille n’en tiennent pas compte. Ce n’est pas de lui qu’ils se défendent. Ils ont mis, d’instinct, l’accent sur Isabelle, sa femme.