Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
LE RAISIN VERT

— Mais… dit-elle, je ne l’aime pas. En voilà des histoires à propos de rien ! Moi, je voudrais simplement savoir si on me permet de voir Marie-Ja ou si on me le défend. Si on me le défend, bon, j’admettrai qu’elle a la gale, quoiqu’elle ne l’ait pas. Mais si on me le permet, je voudrais bien qu’on nous laisse tranquilles.

— Ne prends pas tes yeux de chat-tigre, dit Isabelle, on ne te défend rien du tout. Mais tâche de ne pas être aussi familière avec les gens que tu ne connais pas et prends garde de ne pas copier leurs manières. Cette petite fille n’a pas la gale, mais elle est très commune et tu ne gagnerais rien à l’imiter.

Le Corbiau pâlissait lentement après avoir lentement rougi jusqu’aux cheveux. Isabelle vit cela sans la regarder et s’absorba dans la contemplation soucieuse de son assiette.

« Chacun réclame le droit de vivre pour son compte, songeait-elle. Et moi je voudrais bien pouvoir oublier de temps en temps que je porte quatre vies au lieu d’une. »

Le lendemain matin, comme Lise achevait de boire son lait, elle entendit les trois coups de sifflet par lesquels Marie-Ja lui annonçait qu’elle était disponible. Avalant en toute hâte les dernières gorgées, elle jeta sa serviette sur la table et courut à la barrière du jardin.

Non, elle n’aimait pas Marie-Ja. Comparer cette petite fille à l’idéale Juliette, de la troupe des Camarades, ou même à la vive et futée Gisèle Denis lui eût fait hausser les épaules. Mais sa nouvelle connaissance eût-elle été dix fois plus laide, plus stupide et plus renfrognée, Lise n’en serait pas moins accourue à son coup de sifflet, simplement parce que Marie-Ja était une nouvelle connaissance et qu’elle représentait pour Lise ce trésor inestimable : quelqu’un à qui parler.

La petite fille l’attendait derrière le portillon, le