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LE RAISIN VERT

— Maman, dit Laurent, as-tu vu la dernière conquête de Lise ? L’espèce de crabe à cheveux longs qui habite en face ? Hier matin, Lise l’a fait entrer dans le jardin et elles en ont piapiatté sous la tonnelle, je ne te dis que ça ! Et des tu et des toi, tant qu’on en veut !

— Lise tutoie tout le monde au bout d’un quart d’heure, dit Isabelle avec une petite moue. C’est un genre qui ne me plaît guère, tu sais, Lise ?

Lise braqua sur son frère un œil clair et froid et, pianotant du bout des doigts au bord de la nappe, déclara d’une voix suave :

— Le jour où les hommes se mêleront de ce qui les regarde, la terre tournera à l’envers.

Laurent dédaigna de discuter cet axiome. Sa narine droite se retroussait éperdûment et ses yeux bruns pétillaient de malice :

— Elle est jolie, ta ma-chère ! Ce museau renfrogné, ce petit œil de crabe ! Ah ! tu les choisis bien, tes relations !

Amédée intervint :

— Vous parlez de la petite fille d’en face ? La petite Le Cloarec ? Le fait est qu’elle n’est pas jolie. Elle a l’air têtu et stupide. Je ne sais pas quel plaisir Lise peut trouver à la fréquenter.

Lise opposait à toutes ces remarques un silence digne et glacial. Brusquement, le Corbiau repoussa son assiette, qui vint heurter son verre :

— Si elle l’aime, cette petite fille ? C’est son droit. Quand vous aurez tous donné votre avis, croyez-vous que cela y changera quelque chose ?

Elle avait parlé d’un ton agressif, si inaccoutumé chez elle qu’Isabelle la regarda avec étonnement.

Lise ne paraissait pas moins surprise :