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LE RAISIN VERT

d’une voix qui parle à quelqu’un d’invisible à l’intérieur de la maison — et l’on ne distingue pas les paroles, rien que leur murmure et l’accent que leur donne la voix. Le geste d’une main qui tient une cigarette — et, de temps à autre, en fait tomber la cendre, du bout du petit doigt. Tout alentour, l’air brillant, salin, le gouffre bleu, l’odeur de la mer et sa grande respiration.

Tels sont ses trésors. Certains jours, elle revient presque trop riche. Il est passé à côté d’elle et lui a souri, comme s’ils se connaissaient de longue date. Ces jours-là, elle tremble qu’il ne lui adresse la parole. Et, bien qu’il passe sans rien dire, cette inquiétude corrompt légèrement le souvenir heureux. À la longue, cette inquiétude se transforme en espoir : l’espoir qu’un jour il lui adressera la parole.

Tout cela suffit à combler le temps, comme la pulsation de la mer, qui ne cesse ni jour ni nuit.

Mais qu’une autre oreille perçoive cette pulsation, alors le cœur durci se défend, comme si l’on voulait lui prendre son bien,

De quoi se mêle-t-on ? Et de quel droit ? « Mais je deviens mauvaise ! Qu’est-ce que j’ai ? » Ses pupilles dilatées interrogent la nuit. Molle nuit d’août, traversée de remous tièdes, d’odeurs fraîches qui voyagent, — les sauges, les menthes, — de petits pas mystérieux qui frôlent le gravier, toujours à la même place.

« Je voudrais pouvoir oublier tout le monde. Non, ce n’est pas cela. Je voudrais que personne ne sache ce que je pense, que personne ne juge ce que j’aime. Je voudrais être seule dans ma tête. »

Qui a soupiré, dans l’ombre ? Cela vient du jardin. Qui se plaint d’être seul ? Qui appelle, en soupirant tout bas ?

Assise sur son lit, les yeux dilatés, le Corbiau écoute le bruit de ses artères. La voix de la mer au fond de