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LE RAISIN VERT

sans recours. Il ne restait plus là qu’un homme plongé jusqu’aux épaules dans le fleuve de vie et qui ne pouvait y boire.

— Est-ce que vous croyez que les enfants vont nous faire dîner à neuf heures du soir ? demanda-t-il tout à coup. Cela devient ridicule, ces vagabondages. S’ils ne sont pas rentrés d’ici dix minutes, nous nous mettrons à table et ils dîneront par cœur.

La nuit montait du sol comme une fumée. Déjà le magnolia n’était plus qu’une motte d’ombre étoilée de fleurs blafardes. Isabelle leva la tête et parut s’orienter dans l’espace, comme une abeille à la croisée d’invisibles pistes.

— Ils ne tarderont pas, dit-elle. Tenez, en voici une.

— Celle-ci est généralement à l’heure, remarqua M. M. Durras en adressant un regard satisfait à sa petite nièce, qui venait d’apparaître au détour de l’allée. On ne peut pas en dire autant de ses deux cousins.

Le Corbiau tourna vers Isabelle ses pupilles d’ombre encerclées d’un mince iris bleu.

— Il est tard ? Tu étais inquiète ?

— Moi ? Non, dit la jeune femme en souriant. S’il vous arrivait quelque chose, je le saurais tout de suite.

Amédée railla :

— Vous êtes tous reliés par sans-fil ? Ça, alors, c’est épatant. Est-ce qu’ils vous envoient des informations sur ce qu’ils font, à chaque heure du jour ?

Isabelle leva légèrement les épaules et affirma sur un ton de défi :

— Mais naturellement.

— On va bien voir, reprit Amédée. Dites-nous ce qu’a fait la petite, depuis qu’elle a quitté la maison ?

D’un sourire, il invitait sa nièce à se ranger de son côté dans ce jeu, mais était-ce bien un jeu ? Une âpreté à peine dissimulée perçait sous le ton plaisant.