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LE RAISIN VERT

Il y eut un silence. Isabelle fredonnait une vieille chanson :

Les yeux en l’air,
Le chapeau bas,
Michel n’osait pas faire un pas
Et Christine la mijaurée
Le regardait du haut en bas.
Ha ! ha ! les drôles d’amour,
J’en rirai longtemps
J’en rirai toujours…

— Pourquoi n’allez-vous plus à la pêche ? reprit-elle au bout d’un moment.

— Merci bien. La pêche côtière, c’est assommant. Rester debout sur un rocher à regarder sa ligne, pendant que le soleil vous cuit comme un œuf à la coque, quelle distraction ! Et la pêche au large, c’est tout un fourbi. Il faut une barque, quelqu’un pour mener la barque et qui se paie votre tête si vous ne prenez rien. Et puis non, aller relever les casiers à homards à quatre heures du matin, ça ne me dit rien du tout. Les homards, on en trouve ici tant qu’on en veut à vingt sous pièce. Ce n’était vraiment pas la peine d’acheter pour cent francs de fournitures qui sont tellement perfectionnées qu’elles vous dégoûtent de s’en servir.

Il parlait avec amertume, plein de rancune contre cet ancien lui-même, candide, prodigue, ébloui, qui avait cru au bonheur sous les rayons de l’astre de Pignardol.

S’il avait secrètement compté sur sa femme pour excuser cet autre lui-même, il s’adressait mal. Isabelle était sans pitié pour les illusions — à plus forte raison quand elles menaçaient de détruire son ouvrage.

Les sourcils hauts, mordillant la jointure de son index replié, elle laissa peser son redoutable silence. L’être second, séduit par de faciles magies, dont Amédée accusait si âprement le souvenir, y succomba