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LE RAISIN VERT

— S’il faut subir cette chaleur pendant tout le mois d’août… quel été ! quel pays !

Les sourcils en pont chinois s’exhaussèrent ironiquement au-dessus de leurs orbites, tandis qu’Isabelle froissait une feuille de géranium, sous ses minces narines, sensibles aux voluptés de l’odorat. Et M. Durras sentit croître son ennui, sous le poids de la responsabilité qu’il portait seul.

L’après-midi lui avait paru interminable. Confiné à l’intérieur de la maison par le feu du ciel qui calcinait la poussière des routes aveuglantes, momifiait les petits chardons des sables aux feuilles épineuses et versait dans le dur granit du sol un fluide brûlant qui s’exhalerait dès la nuit tombée, M. Durras avait en vain cherché à se fuir lui-même, errant d’une pièce à l’autre, le corps moite et l’âme vacante.

Sa femme, ses enfants, la bonne, réfugiés dans le vestibule aux fraîches dalles de pierre, le voyaient passer et repasser, vêtu d’un costume de toile blanche, les pieds nus dans des sandales et tenant à la main un éventail de papier, dont il s’éventait à coups brefs, irrités.

Isabelle avait renoncé à lui démontrer qu’il s’échauffait par le mouvement, et bientôt, absorbée par le point de Venise dont elle cernait à l’aiguille le dessin ajouré, elle oublia cette silhouette qui traversait et retraversait le corridor, interceptant l’ourlet lumineux de la porte avec la régularité d’un pendule.

À côté d’elle, Marie reprisait des bas, Laurent crayonnait, Lise, engloutie dans un livre, à plat ventre sur les dalles, les deux poings dans ses cheveux, n’entendait même plus l’appel de son nom et le Corbiau, la tête abandonnée contre le mur, souriait en silence, paupières baissées, insensible, elle aussi, à la fuite automatique et vaine de cette ombre pourchassée.