Page:Rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté, présenté par le Rapporteur spécial, M. Leandro Despouy.djvu/5

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vient à l’esprit est que l’esclavage a été vivement contesté dès l’époque où il était pratiqué de façon institutionnelle. L’apartheid, pour sa part, a été rejeté et combattu par la quasi-totalité des mécanismes dont l’humanité s’était entre-temps dotée. Au contraire, la misère peut commodément perdurer dans l’indifférence générale, ou masquer derrière un voile opaque l’image abstraite de sa dimension plurielle.

10. Ignorées, installées dans des zones d’habitation isolées et éloignées, ou entassées dans les faubourgs des innombrables métropoles contemporaines, des millions de personnes mènent une existence dans laquelle chaque instant est une lutte féroce pour survivre. Ce combat quotidien, les gestes de solidarité fréquemment observés dans ce monde marqué par la précarité et la détresse, revêtent une telle signification qu’ils devraient nous aider à revaloriser la condition humaine. Pour y parvenir, établir un ordre de priorité et profiter d’une telle expérience, il est indispensable de modifier notre perception de la misère et, surtout, de ceux qui y vivent. La seule voie possible consiste à nous rapprocher de cette population en créant des liens durables de participation. Tant la théorie que la pratique enseignent que rien ne pourra être accompli en faveur des personnes se trouvant dans une situation d’extrême pauvreté si ce n’est en s’associant à celles-ci. C’est seulement dans la mesure où elles pourront exercer pleinement tous leurs droits que nous verrons apparaître dans sa plénitude l’être humain qui se cache aujourd'hui derrière le masque de la misère.

11. Il convient d’ajouter que le document élaboré lors du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague, dont l’application incombe aux gouvernements, présente de manière lucide et courageuse des lignes directrices concrètes visant à relever efficacement les innombrables défis d’un monde en constante mutation. En témoignent, par exemple, les trois grands objectifs du Sommet, dont l’élimination de l’extrême pauvreté, considérée comme une nécessité impérieuse. Les liens entre les droits de l’homme et la pauvreté absolue, reconnus à Copenhague, cadrent avec l’orientation de la présente étude et servent de référence générale aux recommandations qui y sont formulées. Certaines de ces recommandations s’appliquent expressément à l’extrême pauvreté, tandis que d’autres touchent à la mise en œuvre des engagements du Sommet.

12. À l’échelon international, il s’avère urgent de s’employer résolument à harmoniser les activités des différents organes et institutions du système des Nations Unies, notamment celles de caractère économique, social et ayant trait aux droits de l’homme, qui influent directement ou indirectement sur la pauvreté. À cet égard, l’une des propositions figurant dans le présent rapport vise à asseoir à une même table ceux que, de manière figurée, l’on pourrait appeler les humanistes, agissant par le truchement des organes chargés de protéger la liberté et les droits de l’homme, et les personnes qui, dans l’intérêt collectif, ont pour tâche d’administrer la majeure partie des ressources disponibles dans le système (PNUD, Banque mondiale, FMI, etc.). L’idée est que l’humanisme et le réalisme des uns et des autres concourent à une vision globale des grands objectifs actuels et à une concertation sur des stratégies concrètes pour enrayer la progression de la pauvreté et de l’exclusion sociale, aux fins d’une élimination rapide de la misère. Bref, il s’agit de conjuguer les efforts en vue de donner corps à un principe élémentaire, consistant à faire en sorte que les riches et les pauvres,