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185. Comme le Rapporteur spécial l'a indiqué dans son premier rapport méthodologique, il n'avait pas l'intention de présenter à la Sous-Commission pour adoption une définition précise de l'extrême pauvreté, mais étant donné qu'au Sommet de Copenhague les Etats ont été invités à élaborer, si possible pour 1996, une définition de la pauvreté absolue, dans le cadre de l'application du Programme d'action, le Rapporteur spécial soumet à la réflexion des experts la définition proposée dans son rapport méthodologique accompagnée de quelques brefs commentaires (voir annexe III).

IV. LA JOUISSANCE DES DROITS DE L'HOMME POUR TOUS, COMME OBJECTIF UNIVERSEL ET COMME MOYEN D'ERADICATION DE LA MISERE

A. La misère, nouveau visage de l'apartheid

(Ce sous-titre s'inspire du discours prononcé par le Président Nelson Mandela à la Conférence de Copenhague, dans lequel il a notamment déclaré : "La pauvreté est le nouveau visage de l'apartheid, le nouveau visage de l'esclavage".)

186. L'une des principales difficultés rencontrées par le Rapporteur spécial dans l'élaboration de la présente étude a été, aussi paradoxal que cela puisse paraître, d'éviter que son attachement et sa fidélité à la description des faits - aussi utile qu'indispensable - ne trahissent le message transmis par ceux qui vivent dans une extrême pauvreté. Autrement dit, comment faire pour décrire avec véracité les conditions de vie lamentables, les souffrances et, surtout, la déchéance que la misère provoque chez les individus, sans en donner une version fataliste, laissant entendre que les personnes qui y sont tombées ne pourront jamais s'en sortir ou, pis encore, que leur déchéance est telle qu'elles ne sont déjà plus des êtres humains comme les autres, ce qui reviendrait à alimenter involontairement des arguments racistes ou xénophobes ? Dépeindre les aspects les plus terribles de la misère sans faire le jeu de ceux qui ont un regard discriminatoire à l'égard des plus pauvres devient ainsi un véritable dilemme.

187. Pour le résoudre, le Rapporteur spécial a décidé de prendre pour référence d'autres situations semblables faisant ressortir l'engrenage infernal des discriminations. Tel est le cas, par exemple, de l'apartheid. Comment le régime raciste et colonialiste de l'Afrique du Sud a-t-il pu justifier et mettre à exécution une politique d'exclusion sociale et de surexploitation de la population noire ? Le mécanisme dont il s'est servi pour atteindre des objectifs aussi ignobles consistait en une négation délibérée des droits économiques, sociaux, politiques et culturels de cette population, le fondement raciste (de sinistre mémoire) établi à cet effet permettant de refuser à celle-ci des conditions identiques à celles des autres humains. L'esclavage a produit un phénomène équivalent. Au-delà des motivations purement économiques et utilitaires des deux systèmes, les fondements idéologiques étaient semblables : l'esclave n'était pas considéré comme un être humain et, partant, était privé de tous les droits(Cela démontre jusqu'à quel point des personnes peuvent ne pas être reconnues comme êtres humains tant qu'elles ne sont pas identifiées par leurs droits : autrement dit, on ne les identifie pas en tant qu'êtres humains tant que leurs droits ne sont pas reconnus. Au-delà de la dignité, valeur inhérente et commune à tout être humain, quelles que soient l'époque considérée, les circonstances de la vie et la condition sociale de tel ou tel individu, l'on peut se demander ce qu'est un être humain, spolié de tous ses droits.).

188. Force est de reconnaître que la similitude que présentent ces deux situations ne tient pas seulement à la négation totale des droits que chacune entraîne, mais également aux difficultés que pose leur description. Si l'on dépeint, par exemple, les terribles conséquences de l'esclavage et le niveau de déchéance auquel il peut aboutir, l'interprétation qui pourrait en être donnée - ce que font les esclavagistes - est que l'être humain, avili par la servitude, était effectivement un objet et, par conséquent, ne méritait pas un traitement égal à celui des êtres humains. Cependant, c'est sous l'impulsion des luttes entreprises par les esclaves eux-mêmes et des idéaux de la pensée