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des aspects les plus préoccupants de l’actualité et que la pauvreté, surtout sous ses formes les plus extrêmes, compte parmi les principales causes et circonstances aggravantes de ces migrations. Ceux qui ont été contraints à l’exil et qui ont eu la chance d’être accueillis dignement, tout en bénéficiant de la protection juridique du pays qui leur avait donné asile, savent fort bien que tel n’est pas vraiment le sort qui attend des personnes fuyant la pauvreté. Non que le spectre de la misère soit moins effrayant que celui d’une prison clandestine : mais la protection juridique d’une personne victime de persécutions politiques est une conquête de la sensibilité humaine, tandis que la misère ne bénéficie pas encore d’un régime similaire.

6. Au-delà de ce panorama à la fois poignant et inquiétant du contour apparent de ce que l’on pourrait appeler la carte mondiale de la misère, la présente étude vise à percer à jour la situation de ceux qui y vivent. À cette fin, la Rapporteur spécial a dû s’appuyer sur des personnes et des organisations qui ont, au fil du temps, tissé avec cette population des liens durables fondés sur la compréhension et la fraternité. L’objet d'une telle entreprise est de rendre compte, au travers de leur expérience, des véritables aspects de cet univers si particulier. Mais, outre la description des conditions de vie qui caractérisent la misère, l’approche méthodologique adoptée ici consiste à mettre en évidence les vices cachés, les préjugés et les stigmates qui nous empêchent de voir la réalité propre aux plus pauvres et, partant, l’extrême pauvreté d’une réalité qui engendre, alimente ou tolère un tel état de choses.

7. Du point de vue juridique, que représente la misère si ce n’est un véritable engrenage de précarités : piètres conditions de vie, habitat insalubre, absence de domicile fixe, omission fréquente des registres d’état civil, chômage, mauvaise santé, éducation insuffisante, marginalisation, impossibilité de participer à la vie civile et d’assumer des responsabilités, etc. ? La particularité de cet engrenage tient au fait que les carences — qu’il s'agisse de la faim, de la promiscuité, de la maladie ou de l’analphabétisme — s’additionnent et que chacune d'elles influe de manière négative sur les autres, créant ainsi un cercle vicieux horizontal de la misère.

8. Cet exemple suffit à montrer à quel point l’extrême pauvreté est révélatrice de l’indivisibilité et de l’interdépendance de l’ensemble des droits de l’homme. En outre, les témoignages auxquels le Rapporteur spécial a eu accès font ressortir comment la misère se transmet fréquemment de génération en génération, rendant une telle situation de plus en plus inextricable. Le cercle vicieux de la misère se manifeste ainsi également de façon verticale. Il s’agit par conséquent d’un engrenage infernal qui prive les personnes concernées de toute possibilité réelle et effective d’exercer leurs droits de l’homme et d’assumer des responsabilités.

9. La question est de savoir, en l’occurrence, s’il existe des similitudes entre la situation d’un esclave de l’époque coloniale, celle de quiconque a été jusqu’à récemment victime de l’apartheid et celle d’une personne qui vit aujourd'hui dans la misère. À cela, il convient de répondre, bien évidemment, par l’affirmative. Parmi les nombreuses similitudes, la plus manifeste tient à ce que, dans les trois cas, il s’agit de personnes spoliées de leurs droits de l’homme. Quant aux différences, qui sont également multiples, la première qui