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Introduction


1. Nous vivons, à n’en pas douter, une des périodes les plus contrastées de l’histoire. Il y a, d’une part, ceux qui profitent avec avidité des éblouissants prodiges de l’évolution technologique, de la culture, de la révolution informatique, d’une ère spatiale riche en promesses, etc. De l’autre, un nombre considérable de personnes qui mènent une vie marquée par l’indigence, l’adversité et la marginalisation. Ainsi, tandis que le rythme du changement s’accélère pour une partie de l’humanité, l’autre connaît une existence statique, voire une régression. C’est de ce mouvement vers le bas que proviennent nos plus vives préoccupations. En effet, le plus grave tient non pas au fait que ceux qui avancent sont peu nombreux, ou qu’ils peuvent se raréfier de jour en jour, mais que beaucoup s’enfoncent, chaque jour plus nombreux et à un rythme qui donne le frisson.

2. Mais que savons-nous de cette population ? Quels sont ses effectifs, comment et où vit-elle ? Pourquoi cette armée d’exclus augmente-t-elle ? Assurément, ce qu’on sait d’eux représente peu de choses et ce qu’on a voulu en savoir encore moins. La preuve en est que cette couche de population n’est quasiment jamais incluse dans les statistiques : si elle l’est, il s’agit en général d’estimations globales, de pourcentages probables, régulièrement sous-évalués. Il semble que bon nombre de gouvernements aient tendance à faire étalage de la richesse, tout en se montrant extrêmement avares d’informations sur la pauvreté.

3. Or la réalité mondiale est implacable : elle montre que la misère ne connaît pas de frontières géographiques, qu’elle s’étend sur tous les continents et qu’elle est présente, quoique à des degrés divers, tant dans les pays industrialisés que dans ceux qui se trouvent sur la voie du développement. Pis encore, ce phénomène s’accentue et le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter, dépassant largement 1 milliard de personnes. Selon certaines estimations, il atteindra rapidement 2 milliards. Cependant, quel que soit le mode de calcul retenu, il est certain que, sur les 5,7 milliards d'habitants que compte la planète, 1,5 milliard d’entre eux sont désespérément démunis et que ce nombre s’accroît d’au moins 25 millions par an. Si les tendances économiques et démographiques se maintiennent, le nombre de pauvres quadruplera, si l’on en croit l’UNICEF, en l’espace d'une vie.

4. Selon l’OMS, le fléau le plus meurtrier et le plus impitoyable et la principale cause de souffrances sur cette terre est la misère. On ne peut qu’être frappé de la façon dont s’agrandit le fossé entre les bien-portants et les pauvres, notamment dans le cas des plus démunis, non seulement suivant les régions et les pays, mais également à l’intérieur d’un même pays. En outre, la logique perverse qui contribue à cet engrenage de l’exclusion se manifeste même au sein des populations défavorisées, touchant tout particulièrement les enfants, les personnes âgées et des millions de femmes dont le principal handicap tient précisément à leur sexe.

5. Nous savons aujourd’hui que la misère fait un plus grand nombre de victimes que les horreurs de la guerre. Cependant, il serait utile de s’interroger sur l’ampleur de la misère provoquée par les guerres et, dans le même temps, sur le nombre de guerres qui résultent de la misère. Par ailleurs, nul n’ignore que les migrations intérieures et internationales constituent un