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A. Quelques principes fondamentaux des droits de l'homme au regard de l'extrême pauvreté

1. La dignité humaine et le principe d'égalité

a) L'égale dignité de tous les êtres humains

104. La Déclaration universelle des droits de l'homme a été le premier texte international à reconnaître dans l'ordre juridique le concept de dignité humaine, abandonné jusqu'alors aux seuls philosophes. Elle commence en effet par ces mots : "Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde". Ce principe apparaît dès lors comme le fondement, la source des droits reconnus dans la Déclaration.

105. La portée de ce texte a été telle qu'on a vu apparaître ce principe de dignité humaine dans l'ordre juridique interne de nombreux pays, entraînant ainsi l'apparition d'une législation et d'une jurisprudence fondée sur celui-ci (Cf. "Pour une analyse juridique du concept de 'dignité' du salarié", Olivier de Tissot, Revue française de droit social, décembre 1995. Cet article relève l'apparition dans les codes et la jurisprudence française du concept de dignité.).

106. Au niveau international, ce principe de dignité humaine apparaît notamment dans les résolutions relatives aux droits de l'homme et l'extrême pauvreté de l'Assemblée générale, de la Commission des droits de l'homme et de la Sous-Commission. La Conférence mondiale sur les droits de l'homme a aussi identifié la misère comme une "violation de la dignité humaine".

107. Le fait que les mots "reconnaissance de la dignité" soient les premiers de ce texte majeur suffirait donc à justifier de commencer la présente analyse par l'évocation de ce principe. A l'appui de cette orientation, le Rapporteur spécial a constaté qu'il n'était pas de témoignage de personnes en situation d'extrême pauvreté qui ne mette l'accent sur les atteintes à la dignité inhérente à sa condition d'être humain.

108. "Ce n'est pas normal qu'on nous traite ainsi, on est pourtant des hommes" nous disent souvent les personnes très pauvres. "Nous avons l'impression que nous sommes des chiens. Mais pour les chiens, dans le parc de dressage au milieu du quartier, il y a de l'eau, de l'électricité, alors que nous n'en avons pas. C'est vraiment une injustice."

109. Ces atteintes à la dignité poursuivent les personnes qui vivent dans l'extrême pauvreté tout au long de leur vie et jusqu'à leur mort, comme en témoigne le fait suivant rapporté par une personne engagée aux côtés d'une famille. Dans un bidonville d'Amérique latine, une femme avait illicitement accueilli son frère malade, à la sortie de l'hôpital. Lorsque le propriétaire s'aperçut que l'homme était mourant, il exigea, sous peine d'expulsion, qu'il soit transporté dans la rue, la nuit, pour ne pas avoir à payer les frais d'enlèvement du corps. Cet "inconnu" trouvé mort dans la rue fut donc enterré de manière anonyme.

110. De telles situations sont à ce point révélatrices de l'extrême pauvreté, que le PNUD a incorporé parmi ses indicateurs l'impossibilité pour les pauvres d'enterrer décemment leurs morts. Comment ne pas songer ici à l'Antigone