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qui domine l’homme ; chez l’autre, c’est, au contraire, l’homme qui domine la matière. L’un est donc matérialiste ; l’autre doit être considéré comme idéaliste.

Pierre Lavroff est évolutionniste comme Marx ; mais il considère l’évolution d’un autre point de vue que l’auteur du Capital.

Pour le penseur russe, l’évolution n’est pas seulement une suite de causes et d’effets. Elle est aussi une série de moyens et de buts. Chaque étape de cette évolution est non seulement déterminée par celle qui la précède, mais elle est aussi voulue, comme un pas en avant, comme un état meilleur. L’évolution est non seulement succession, elle est aussi progression. Voilà pourquoi là où Marx dit : évolution, Pierre Lavroff ajoute : progrès. Il considère non seulement le fatum historique, mais aussi et surtout la destinée de l’homme combattant pour un idéal supérieur, pour une vie meilleure, pour un avenir plus humain, éclairé par une conscience développée et fondé sur la solidarité universelle.

Marx n’exclut pas l’idéal, mais il le considère plutôt comme un résultat indirect de l’évolution objective qui n’a rien d’humain. C’est comme par hasard que l’intérêt de l’homme coïncide avec l’évolution économique de la société, qui a des lois à elle, indépendantes de la volonté humaine. Pour Pierre Lavroff, l’idéal est, par contre, le résultat direct, voulu et recherché d’une lutte sans trêve dont il est l’enjeu. L’homme est l’artisan de son avenir. Il est le maître de sa destinée historique. Tout ce qui précède démontre que telle était la pensée dominante de Pierre Lavroff.


X

Ici une question se pose. Comment Pierre Lavroff, ami intime et frère d’armes de Karl Marx, définissait-il les rapports de sa doctrine avec celle de ce dernier ? Il se déclarait lui-même, avec quelques réserves, partisan de la théorie de Marx, son disciple même. Je n’ai aucune difficulté à le reconnaître. Après ce qui précède, cela doit nécessairement paraître presque invraisemblable. Il en est pourtant ainsi. Et nous allons voir pourquoi. Mais il est à noter tout d’abord que ni Marx lui-même, à en juger par des témoignages d’amis communs, ni les marxistes qui connaissent les idées de Lavroff ne reconnaissent ce dernier comme un marxiste.

J’ai dit que Pierre Lavroff en se déclarant marxiste faisait des réserves. Les voici. Il est vrai, disait-il, que l’évolution historique a pour base les relations économiques. Mais les idées, une fois formées,