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mille, les amitiés, l’honneur corporatif, le patriotisme politique et national, la foi religieuse, en un mot tout ce qui peut contribuer directement ou indirectement à la solidarité humaine. La concurrence effrénée tue la dignité humaine, la solidarité et menace le développement de l’humanité. Comme notre devoir suprême est justement le développement de la dignité humaine, de la solidarité et de la conscience, il ne saurait y avoir un prix trop élevé, un moyen trop violent pour atteindre ce but qui est l’essence même du progrès historique. L’arrêt dans le progrès serait la mort. Notre devoir est donc de combattre la société actuelle par tous les moyens, même quand ces moyens nous répugnent individuellement.

La coopération universelle pour le développement universel doit être réalisée coûte que coûte. Fiat justitia ! D’autant plus que le monde n’y périra pas. Au contraire. Il n’y perdra, comme l’a dit Marx, que ses chaînes.


XI

Au point de vue pratique, la méthode révolutionnaire apparaît comme la seule efficace, inévitable et fatale. Le progrès social par voie de réformes n’est possible que très rarement. Nous pouvons parfois arracher des réformes à la faiblesse du pouvoir, à la peur des classes dominantes, à l’anarchie régnante, à la lâcheté d’une majorité effrayée par les progrès du parti socialiste. Mais tout cela est accidentel et ne saurait influencer considérablement notre tactique.

Il y a un autre cas de réformes possibles.

On suppose qu’un législateur puissant, un roi, un dictateur, un industriel généreux, un millionnaire idéaliste se convertit au socialisme, est décidé à sacrifier ses intérêts à la cause du progrès social. Cette possibilité a séduit les socialistes de la première période avant la Révolution française. Elle était également le rêve des socialistes utopistes qui, effrayés de la Révolution et de ses conséquences, suppliaient les puissants du jour d’abandonner leurs privilèges et de s’occuper de la reconstruction de la société sur un nouveau modèle. Ainsi, disaient les Saint-Simon et les Fourier, on ferait l’économie d’une révolution. Les avantages de la nouvelle société se présentaient à leur esprit avec une telle netteté, ils étaient tellement convaincus de la supériorité de leurs plans de réforme sociale, qu’ils s’étonnaient ingénument que les maîtres des destinées des peuples s’obstinassent à ne pas suivre leurs projets de régénération. Les socialistes utopistes oubliaient que les privilèges corrompent tellement ceux qui en profitent que la possibilité de leur conversion en masse aux idées socialistes est une illusion. Ceux qui n’ont pas intérêt à croire ne croient pas. Ceux