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notre propre dignité, ou dans l’ascétisme stérile. C’est la période des religions de charité.

Toutes ces formes inférieures de la dignité personnelle doivent, grâce à la critique rationnelle, céder leur place à une forme supérieure. Cette forme supérieure est le résultat d’un « besoin de développement », de perfection et de progrès. Les hommes commencent à trouver un certain plaisir dans le fait de leur développement physique, intellectuel et moral, dans la conscience de l’accroissement de leurs forces. Ils font dépendre leur dignité personnelle du développement individuel. Le développement progressif une fois devenu son idéal, l’individu le transforme en devoir. Ce que nous considérons comme le mieux, comme un degré supérieur de notre dignité devient par cela même obligatoire.

Le devoir, c’est l’idéal. Ne pas poursuivre son idéal équivaut à un abaissement douloureux de notre dignité personnelle, à un anéantissement du « moi idéal », à un suicide moral. Ainsi se trouve résolue du coup la plus grande difficulté de tout système moral, l’explication du « doit » moral. Le devoir se trouve expliqué par la notion de l’idéal qui se base sur l’idée du développement progressif, laquelle à son tour se fonde sur le principe de la dignité personnelle.

Les obligations que nous impose la société et que nous acceptons sans la critiquer, même lorsque cette acceptation est accompagnée par un sentiment du devoir, n’ont aucun caractère moral. Seul, le discernement conscient entre un état supérieur et un état inférieur résultant du fait du développement progressif de l’individu et correspondant aux différents degrés de ce développement donne l’estampille morale à nos actes, le fait entrer dans le domaine de l’éthique. Le besoin de s’élever d’un degré inférieur à un degré supérieur de l’échelle évolutive devient le mobile moral par excellence. L’homme en se développant s’élève. Avec sa valeur physique et intellectuelle croît sa valeur morale.

Il résulte de la nature même du développement progressif, fondement de la morale, que le premier devoir de l’individu, c’est la critique qui est la condition sine qua non de ce développement. La critique doit être continuelle parce que le développement est infini. Cette critique fait la classification rationnelle de nos actes selon la place qu’ils occupent dans notre évolution progressive. Elle détermine les buts que nous avons à nous poser pour atteindre un degré supérieur de développement et des moyens à employer. Le degré de développement auquel l’individu est arrivé détermine la nature de son idéal. Les efforts qu’il faut pour le réaliser donnent naissance aux « convictions morales » de l’individu. L’individu se pose un but déterminé. C’est son idéal moral. Il cherche des moyens pour le réaliser.